Voici, à comparer avec les textes de Luce Irigaray, Hélène Cixous, et Jean-François Lyotard, qu'il faut avoir déjà lus et analysés, un long extrait de Rhizome, Introduction, par Gilles Deleuze et Félix Guattari, Éditions de Minuit, 1976.
Comment analyseriez-vous cet extrait au moyen de l'A.L.S.? Pour gagner du temps, les séries et les valeurs sont déjà notées. Même convention que d'habitude (mots en italique: série A ; mots en gras : série B ; mots en italique gras : parler E → I ; mots soulignés: valeur + ; mots non soulignés : valeur —).
C'est fini, nous ne parlerons plus du tout de psychanalyse après ce livre. Personne n'en souffrira, ni eux ni nous. C'est curieux, comme les objections qu'on vous fait sont des retardateurs. Quand vous essayez de nager dans un ruisseau, on vous met des boulets aux pieds : avez-vous pensé à ceci, que faites-vous de cela ? êtes-vous bien cohérents ? ne voyez-vous pas la contradiction ? Douceur aussi, de ne jamais répondre. Il n'y a qu'une chose pire encore que les objections et réfutations d'objections, c'est la réflexion, le retour à ... Par exemple, dans un livre, le retour à un livre précédent : qu'en est-il de ? Avez-vous bien compris Freud ? Et votre dernier livre, avez-vous changé ? Faire le point, quelle horreur.
Un livre n'a pas d'objet ni de sujet, il est fait de matières diversement formées, de dates et de vitesses très différentes. Dès qu'on attribue le livre à un sujet, on néglige ce travail des matières, et l'extériorité de leurs relations. On fabrique un bon Dieu pour des mouvements géologiques. Dans un livre comme dans toute chose, il y a des lignes d'articulation ou de segmentarité, des strates, des territorialités ; mais aussi des lignes de fuite, des mouvements de déterritorialisation et de déstratification. Les vitesses comparées d'écoulement de flux d'après ces lignes entraînent des phénomènes de retard relatif, de viscosité, ou au contraire de précipitation et de rupture (oui, la psychanalyse a été notre boulet, il fallait limer).
Tout cela, les lignes et les vitesses mesurables, constitue un agencement machinique. Un livre est un tel agencement, comme tel inattribuable. C'est une multiplicité — mais on ne sait pas encore ce que le multiple implique quand il cesse d'être attribué, c'est-à-dire quand il est élevé à l'état de substantif. Un agencement machinique est tourné vers les strates qui en font sans doute une sorte d'organisme, ou bien une totalité signifiante, ou bien une détermination attribuable à un sujet, mais non moins vers un corps sans organes qui ne cesse de défaire l'organisme, de faire passer et circuler des particules asignifiantes, intensités pures, et de s'attribuer les sujets auxquels il ne laisse plus qu'un nom comme trace d'une intensité.
[...] On ne demandera jamais ce que veut dire un livre, signifié ou signifiant, on ne cherchera rien à comprendre dans un livre, on se demandera avec quoi il fonctionne, en connexion de quoi il fait ou non passer des intensités, dans quelles multiplicités il introduit et métamorphose la sienne, avec quels corps sans organes il fait lui-même converger le sien. Un livre n'existe que par le dehors et au-dehors.
[...] Écrire n'a rien à voir avec signifier, mais avec arpenter, cartographier, même des contrées à venir.
Un premier type de livre, c'est le livre-racine. L'arbre est déjà l'image du monde, ou bien la racine est l'image de l'arbre-monde. C'est le livre classique, comme belle intériorité organique, signifiante et subjective (les strates du livre). Le livre imite le monde, comme l'art, la nature : par des procédés qui lui sont propres, et qui mènent à bien ce que la nature ne peut pas ou ne peut plus faire. La loi du livre, c'est celle de la réflexion, le Un qui devient deux. Comment la loi du livre serait-elle dans la nature, puisqu'elle préside à la division même entre monde et livre, nature et art ? Un devient deux : chaque fois que nous rencontrons cette formule, fût-elle énoncée stratégiquement par Mao, fût-elle comprise le plus « dialectiquement » du monde, nous nous trouvons devant la pensée la plus classique et la plus réfléchie, la plus vieille, la plus fatiguée. La nature n'agit pas ainsi : les racines elles-mêmes y sont pivotantes, à ramification plus nombreuse, latérale et circulaire, non pas dichotomique.
L'esprit retarde sur la nature. Même le livre comme réalité naturelle est pivotant, avec son axe, et les feuilles autour. Mais le livre comme réalité spirituelle, l'Arbre ou la Racine en tant qu'image, ne cesse de développer la loi de l'Un qui devient deux, puis deux qui deviennent quatre... La logique binaire est la réalité spirituelle de l'arbre-racine. [...] La logique binaire et les relations bi-univoques dominent encore la psychanalyse (l'arbre du délire dans l'interprétation freudienne de Schreber), la linguistique et le structuralisme, même l'informatique.
Le système-radicelle, ou racine fasciculée, est la seconde figure du livre, dont notre modernité se réclame volontiers. [...] Le monde est devenu chaos, mais le livre reste image du monde, chaosmos-radicelle, au lieu de cosmos-racine. Etrange mystification, celle du livre d'autant plus total que fragmenté. Le livre comme image du monde, de toute façon quelle idée fade. En vérité, il ne suffit pas de dire Vive le multiple, bien que ce cri soit difficile à pousser. Aucune habileté typographique, lexicale ou même syntaxique ne suffira à le faire entendre. Le multiple, il faut le faire, non pas en ajoutant toujours une dimension supérieure, mais au contraire le plus simplement, à force de sobriété, au niveau des dimensions dont on dispose, toujours n-1 (c'est seulement ainsi que l'un fait partie du multiple, en étant toujours soustrait). Soustraire l'unique de la multiplicité à constituer ; écrire à n-1.
Un tel système pourrait être nommé rhizome. Un rhizome comme tige souterraine se distingue absolument des racines et radicelles. Les bulbes, les tubercules sont des rhizomes. [...] Nous sentons bien que nous ne convaincrons personne si nous n'énumérons pas certains caractères approximatifs du rhizome,
1° et 2° — Principes de connexion et d'hétérogénéité : n'importe quel point d'un rhizome oeuf être connecté avec n'importe quel autre, et doit l'être. C'est très différent de l'arbre ou de la racine qui fixent un point, un ordre. L'arbre linguistique à la manière de Chomsky commence encore à un point S et procède par dichotomie. Dans un rhizome au contraire, chaque trait ne renvoie pas nécessairement à un trait linguistique : des chaînons sémiotiques de toute nature y sont connectés à des modes d'encodage très divers, chaînons biologiques, politiques, économiques, etc., mettant en jeu non seulement des régimes de signes différents, mais aussi des statuts d'états de choses. Les agencements collectifs d'énonciation fonctionnent en effet directement dans les agencements machiniques, et l'on ne peut pas établir de coupure radicale entre les régimes de signes et leurs objets. Dans la linguistique, même quand on prétend s'en tenir à l'explicite et ne rien supposer de la langue, on reste à l'intérieur des sphères d'un discours qui implique encore des modes d'agencement et des types de pouvoir sociaux particuliers. La grammaticalité de Chomsky, le symbole catégoriel S qui domine toutes les phrases, est d'abord un marqueur de pouvoir avant d'être un marqueur syntaxique : tu constitueras des phrases grammaticalement correctes, tu diviseras chaque énoncé en syntagme nominal et syntagme verbal (première dichotomie...). [...] Un rhizome ne cesserait de connecter des chaînons sémiotiques, des organisations de pouvoir, des occurrences renvoyant aux arts, aux sciences, aux luttes sociales. Un chaînon sémiotique est comme un tubercule agglomérant des actes très divers, linguistiques, mais aussi perceptifs, mimiques, gestuels, cogitatifs : il n'y a pas de langue en soi, ni d'universalité du langage, mais un concours de dialectes, de patois, d'argots, de langues spéciales. Il n'y a pas de locuteur-auditeur idéal, pas plus que de communauté linguistique homogène. La langue est, selon une formule de Weinreich, « une réalité essentiellement hétérogène ». Il n'y a pas de langue-mère, mais prise de pouvoir par une langue dominante dans une multiplicité politique.
On peut toujours opérer sur la langue des décompositions structurales internes : ce n'est pas fondamentalement différent d'une recherche de racines. Il y a toujours quelque chose de généalogique dans l'arbre, ce n'est pas une méthode populaire. Au contraire, une méthode de type rhizome ne peut analyser le langage qu'en le décentrant sur d'autres dimensions et d'autres registres. Une langue ne se referme jamais sur elle-même que dans une fonction d'impuissantation.
3° — Principe de multiplicité : c'est seulement quand le multiple est effectivement traité comme substantif, multiplicité, qu'il n'a plus aucun rapport avec l'Un comme sujet ou comme objet, comme réalité naturelle ou spirituelle, comme image et monde.
Début de réponse : analyse des trois premiers paragraphes. Quelques "grands classiques" du parler extraverti ou changement / destruction :
Valorisation de passer, précipiter, communiquer, vitesse, rupture, craquement
Dévalorisation de profondément, las, ennuyer, retarder
Le mot "matière" peut être rattaché à la série B dans l'opposition "matière (lourd) / esprit (léger)", ou à la série A dans l'opposition " matière (concret) / esprit (abstrait)". Le contexte ("Cette matière qui nous retardait", et plus bas ; " la psychanalyse a été notre boulet") indique clairement qu'ici "matière" est B dévalorisé.
Exceptions à la dominante extravertie :
"artificielle" habituellement B-, ici B+
"tout de suite" habituellement A+, ici A-
L'expression "dans l'incapacité d'arrêter tout de suite" est intéressante à commenter : malgré le "mais" de déploration apparente, une satisfaction de type "extraverti" est obtenue dans la manifestation de l'incapacité (A+) et l'impossibilité d'arrêter (B-). Un "symptôme" déploré consciemment comme contrariant peut très bien satisfaire à la logique du discours fantasmatique.
[ A suivre ... ]
Français
L'A.L.S. (Analyse des Logiques Subjectives) est une méthode d’analyse des mots (lexèmes) d’un texte parlé ou écrit, inspirée par la psychanalyse, qui permet, sans recourir au non-verbal (intonations, gestes, mimiques), d’avoir une idée de la personnalité de l’auteur et de ceux qu’il peut espérer persuader ou séduire.
English
A.L.S (Analysis of Subjective Logics) is an analytical method concerned with the words (lexical items) of a spoken or written text. Drawing on psychoanalysis, it allows one, without resorting to the non-verbal (intonations, gestures, mimics, etc.), to get an idea of the personality of the author as well as of those one expects to persuade or to entice.
Deutsch
Die A.L.S (Analyse der Subjektiven Logiken) ist eine Untersuchungsmethode der Wörter (lexikalische Einheiten) eines gesprochenen oder geschriebenen Textes, mit einer Inspiration der Psychoanalyse, der erlaubt, ohne sich an das Nichtverbale (Intonationen, Bewegungen, Mimiken, u.s.w.) zu wenden, eine Idee der Personalität des Autors und derjenigen zu bekommen, die er zu überreden oder zu bezaubern hofft.
Português
A A.L.S. (Análise das Lógicas Subjetivas) é um método de análise das palavras (unidades lexicais) de um texto falado ou escrito, inspirado pela psicanálise, que permite, sem recorrer ao não-verbal (intonações, gestos, mímicas, etc.), ter uma idéia da personalidade do autor e daqueles que ele pode esperar persuadir ou seduzir.
Español
El A.L.S. (Análisis de las Lógicas Subjectivas) es un método de análisis de las palabras (lexemas) de un texto hablado o escrito, inspirado por la psicoanálisis, que permite, sin recurrir al no verbal (intonaciones, gestos, mímicas), tener una idea de la personalidad del autor y de aquellos a los que puede esperar persuadir o seducir.
Italiano
L'A.L.S. (Analisi delle Logiche Soggettive, è un metodo di analisi delle parole ("lexèmes") di un testo parlato o scritto, ispirata per la psicanalisi, che permette, senza ricorrere al no-verbale (intonazioni, gesti, mimici), di avere un'idea della personalità dell'autore e di quelli che può sperare di persuadere o sedurre.
Abstract : Blog about "Analysis of Subjective Logics ", an original linguistic approach in discourse analysis.
Mots-clé : linguistique, analyse de discours, métaphore, psychanalyse, Lacan, psychologie, psychologie sociale, psychose, paranoïa, schizophrénie, rhétorique, argumentation, épistémologie, poésie, littérature, Baudelaire, traduction, malentendu, expressions figées, Jean-Claude Milner, Albert Camus, Marie Cardinal, Amélie Nothomb, Georges Brassens, Henry Miller, Parménide, Cyrano de Bergerac, Aragon, Nietzsche, hystérie, obsession, phobie, angoisse, inconscient, rêve, rébus, subjiciel
Keywords : linguistics, "discourse analysis", metaphor, psychoanalysis, Lacan, psychology, social psychology, psychosis, paranoia, schizophrenia, rhetorics, argumentation, epistemology, poetry, litterature, Baudelaire, translation, misunderstanding, frozen expressions, Jean-Claude Milner, Albert Camus, Marie Cardinal, Amélie Nothomb, Georges Brassens, Henry Miller, Parménide, Cyrano de Bergerac, Aragon, Nietzsche,
hysteria, fixed idea, phobia, anxiety, the unconscious, dream, rebus, subjiciel
Schlüsselwörter : Linguistik, Redeanalyse, Metapher, Psychoanalyse, Lacan, Psychologie, soziale Psychologie, Psychose, Paranoia, Schizophrenie, Rhetorik, Argumentation, Epistemologie, Poesie, Literatur, Baudelaire, Übersetzung, Mißverständnis, starre Ausdrücke, Jean- Claude Milner, Albert Camus, Marie Cardinal, Amélie Nothomb, Georges Brassens, Henry Miller, Parménide, Cyrano de Bergerac, Aragon, Nietzsche, Hysterie, Zwangsvorstellung, Phobie, Angst, Unbewusstes, Traum, Rebus, subjiciel
Palavras-chaves : linguística, análise de discursos, metáfora, psicanálise, Lacan, psicologia, psicologia social, psicose, paranóia, esquizofrenia, retórica, argumentação, epistemologia, poesia, literatura, Baudelaire, tradução, equívoco, expressões bloqueadas, Jean- Claude Milner, Albert Camus, Marie Cardinal, Amélie Nothomb, Georges Brassens, Henry Miller, Parménide, Cyrano de Bergerac, Aragon, Nietzsche, histeria, idéia fixada, fobia, inquietude, o inconsciente, sonho, rébus, subjiciel
Palabras-clave : lingüistica, análisis de discurso, metáfora, psicoanálisis, Lacan, psicología, psicología social, psicosis, paranoïa, esquizofrenia, retórica, argumentación, epistemología, poesía, literatura, Baudelaire, traducción, malentendido, expresiones cuajadas, Jean-Claude Milner, Albert Camus, Marie Cardinal, Amélie Nothomb, Georges Brassens, Henry Miller, Parménide, Cyrano de Bergerac, Aragon, Nietzsche, histerismo, obsesión, fobia, angustia, inconsciente, sueño, jeroglífico, subjiciel
Parola-chiave : linguistica, analisi di discorso, metafora, psicanalisi, Lacan, psicologia, psicologia sociale, psicosi, paranoia, schizofrenia, retorica, argomentazione, epistemologia, poesia, letteratura, Baudelaire, traduzione, malinteso, espressioni idiomatiche, Jean-Claude Milner. , Albert Camus, Marie Cardinal, Amélie Nothomb, Georges Brassens, Henry Miller, Parménide, Cyrano de Bergerac, Aragon, Nietzsche, isterismo, ossessione, fobia, angoscia, inconscio, sogno, rebus, subjiciel