Voici le texte complet du passage du livre Introduction à une science du langage, Le Seuil, collection « Travaux linguistiques », 1989,
de J.-C Milner, d'où nous avons extrait quelques citations dans le billet Histoire et A.L.S. :
« On en vient donc à conclure que la science du langage sépare radicalement des « sciences » de la culture et s'apparente plutôt, sur la question décisive de la
causalité et des connexions explicatives, aux sciences galiléennes reconnues. Une objection cependant : même s'il est vrai que les sciences de la culture adoptent souvent le langage de la cause,
elles ne le font pas toujours.
L'exemple de l'histoire est éclairant. Cette dernière raisonne souvent en termes de causalité primaire; quand elle le fait, elle rencontre nécessairement la
possibilité qu'entre la cause et l'effet il n'y ait nulle homogénéité; elle rencontre également la possibilité que plusieurs causes hétérogènes entre elles se combinent totalement ou
partiellement. Toutefois, I'histoire peut aussi refuser la causalité: les historiens varient sur ce point, sans que pour autant ils se refusent les uns aux autres le titre d'historien. En bonne
logique, il faut donc conclure que, si importante ou même décisive qu'elle puisse être, la question de la causalité ne touche pas l'essence de l'histoire (de la « science » historique). La faille
qui sépare l'histoire (et avec elle la plupart des sciences dites humaines) de la science du langage en est-elle pour autant comblée ?
Renonçant à la causalité, il est un point sur lequel les historiens ne sauraient varier: il faut qu'entre les êtres qui font l'objet de leur discours quelque
connexion soit possible 12 C'est de cette connexion que l'histoire est tout à la fois la description et la théorie. Or un point essentiel demeure : cette connexion n'a pas à respecter de
dispositif; et cela, parce qu'il n'existe pas de dispositif de I'histoire. De ce fait, la connexion historienne ne connaît aucune limite ni au degré d'hétérogénéité des termes connectés ni au
nombre des termes connectés. On peut même avancer que la connexion historienne est jugée d'autant plus éclairante que les termes connectés sont plus hétérogènes l'un à l'autre. Que, par ailleurs,
un point donné de la connexion soit connecté à un seul autre point ou à une multiplicité de points, que ces points soient multiplement hétérogènes les uns relativement aux autres. voilà ce qu'on
reconnaîtra aisément. On pourrait avancer que le terme d'intrigue. proposé par P. Veyne, résume adéquatement ces divers caractères formels: absence de dispositif, hétérogénéité et non- minimalité
des connexions.
Le domaine de l'histoire apparaît alors comme un véritable tissu de connexions. La causalité n'est qu'une des versions possibles de la connexion d'intrigue entre
des événements et l'histoire a pu parfois faire usage de cette version - mais non toujours et non sans hésitations. En revanche, elle ne peut pas ne pas faire usage de la connexion d'intrigue. Ce
que rejette en vérité la science du langage, ce n'est donc pas seulement l'interprétation causale de la connexion d'intrigue, mais bien toute connexion d'intrigue : en bref, la science du langage
se laisse décrire comme un discours où nulle intrigue n'est pertinente. Cela n'est vrai au même degré d'aucune autre science positive : sans doute les sciences de la nature ne sont-elles pas
fondées sur la connexion d'intrigue, mais les mises en relation qu'elles proposent se laissent toujours réinterpréter, si on le souhaite, comme des intrigues. C'est au reste pourquoi la
science-fiction est possible et c'est pourquoi la vulgarisation scientifique - y compris dans ses formes les plus élevées - peut se lire aisément: en fin de compte, un habile parviendra toujours
à présenter les relations construites par une science donnée comme un enchaînement d'événements, aussi passionnant qu'un roman. ..
Pour la linguistique, rien de tel: I'intrigue n'y existe pas. Une conséquence annexe est que la vulgarisation s'y fait mal, ou du moins, elle ne saurait prendre la
forme des belles histoires de l'oncle Paul. Et quand elle s'essaie à de telles formes, la vulgarité lui est promise. A l'ennui qu'elle paraît dégager souvent pour l'homme normalement constitué,
il n'y a pas d'autre raison.
Une conséquence plus importante: il semble bien que toute connexion d'intrigue repose sur un critère de plausibilité; or ce critère est éminemment soumis à
l'opinion. Sans doute, les grands historiens sont-ils en mesure de modifier les limites du plausible et de l'implausible - soit qu'ils fassent accepter des connexions qu'avant eux on
n'imaginait pas, soit qu'ils manifestent la ténuité de connexions auxquelles tous, avant eux, croyaient sans même se poser une question. Mais pour cela, il faut qu'ils ébranlent les critères
reçus dans la doxa. Or, ce qui est à remarquer, c'est qu'en matière de langage aucune plausibilité d'opinion n'intervient : ce qu'on juge plausible ou non dans les connexions linguistiques dépend
uniquement de ce qu'on sait des langues en général. C'est-à-dire de la science elle-même.
De telles remarques ont une portée plus générale. Après tout, I'histoire n'est pas la seule discipline à se fonder sur la connexion d'intrigue. On peut même
soutenir que l'ensemble de ce qu`on appelle une culture n'est rien d'autre qu'un entrecroisement de connexions d'intrigues, d'où se dégage un système de mesure du plausible. Dans la culture dite
occidentale, où il se trouve que la science galiléenne a pris naissance et s'est développée, un tel entrecroisement existe : on le nomme Humanités (terme encore en usage dans le système
universitaire anglo-saxon) ou culture générale (terme naguère usité en France). On comprend que les disciplines qui n'ont pas pour objet les connexions d'intrigue n'appartiennent pas à cet
entrecroisement: il faut y mentionner au premier chef les sciences dites dures - sinon à l'occasion et grâce aux efforts parfois remarquables de ceux qui convertissent en connexions d'intrigue
les dispositifs théoriques ; il faut aussi mentionner la science du langage: radicalement réfractaire aux connexions d'intrigue, elle est aussi et pour cette raison même étrangère aux humanités
et à la culture générale. Bien que, paradoxalement, ce soient ces dernières qui, par les voies de la grammaire, lui fournissent ses données et la plupart de ses praticiens.
D'autres pages sur J.-C Milner : Résumé du livre de J.-C. Milner : L’Œuvre claire, introduction et chapitre I
Abstract : Blog about "Analysis of Subjective Logics ", an original linguistic approach in discourse analysis.
Français
L'A.L.S. (Analyse des Logiques Subjectives) est une méthode d’analyse des mots (lexèmes) d’un texte parlé ou écrit, inspirée par la psychanalyse, qui permet, sans recourir au non-verbal (intonations, gestes, mimiques), d’avoir une idée de la personnalité de l’auteur et de ceux qu’il peut espérer persuader ou séduire.
English
A.L.S (Analysis of Subjective Logics) is an analytical method concerned with the words (lexical items) of a spoken or written text. Drawing on psychoanalysis, it allows one, without resorting to the non-verbal (intonations, gestures, mimics, etc.), to get an idea of the personality of the author as well as of those one expects to persuade or to entice.
Deutsch
Die A.L.S (Analyse der Subjektiven Logiken) ist eine Untersuchungsmethode der Wörter (lexikalische Einheiten) eines gesprochenen oder geschriebenen Textes, mit einer Inspiration der Psychoanalyse, der erlaubt, ohne sich an das Nichtverbale (Intonationen, Bewegungen, Mimiken, u.s.w.) zu wenden, eine Idee der Personalität des Autors und derjenigen zu bekommen, die er zu überreden oder zu bezaubern hofft.
Português
A A.L.S. (Análise das Lógicas Subjetivas) é um método de análise das palavras (unidades lexicais) de um texto falado ou escrito, inspirado pela psicanálise, que permite, sem recorrer ao não-verbal (intonações, gestos, mímicas, etc.), ter uma idéia da personalidade do autor e daqueles que ele pode esperar persuadir ou seduzir.
Español
El A.L.S. (Análisis de las Lógicas Subjectivas) es un método de análisis de las palabras (lexemas) de un texto hablado o escrito, inspirado por la psicoanálisis, que permite, sin recurrir al no verbal (intonaciones, gestos, mímicas), tener una idea de la personalidad del autor y de aquellos a los que puede esperar persuadir o seducir.
Italiano
L'A.L.S. (Analisi delle Logiche Soggettive, è un metodo di analisi delle parole ("lexèmes") di un testo parlato o scritto, ispirata per la psicanalisi, che permette, senza ricorrere al no-verbale (intonazioni, gesti, mimici), di avere un'idea della personalità dell'autore e di quelli che può sperare di persuadere o sedurre.
Mots-clé : analyscience, linguistique, analyse de discours, sémantique, lexicologie, subjilecte, métaphore, psychanalyse, Lacan, psychologie, psychologie sociale, psychose, paranoïa, schizophrénie, rhétorique, argumentation, épistémologie, poésie, littérature, Baudelaire, traduction, malentendu, expressions figées, Jean-Claude Milner, L’Œuvre claire, Albert Camus, Marie Cardinal, Amélie Nothomb, Georges Brassens, Henry Miller, Parménide, Cyrano de Bergerac, Aragon, Nietzsche, Luce Irigaray, Hélène Cixous, Deleuze, Guattari, Lyotard, hystérie, obsession, phobie, angoisse, inconscient, rêve, rébus, subjiciel
Keywords : analyscience, linguistics, discourse analysis, semantics, lexicology,subjilecte, metaphor, psychoanalysis, Lacan, psychology, social psychology, psychosis, paranoia, schizophrenia, rhetorics, argumentation, epistemology, poetry, litterature, Baudelaire, translation, misunderstanding, frozen expressions, Jean-Claude Milner, L’Œuvre claire, Albert Camus, Marie Cardinal, Amélie Nothomb, Georges Brassens, Henry Miller, Parménide, Cyrano de Bergerac, Aragon, Nietzsche, Luce Irigaray, Hélène Cixous, Deleuze, Guattari, Lyotard, hysteria, fixed idea, phobia, anxiety, the unconscious, dream, rebus, subjiciel
Schlüsselwörter : analyscience, Linguistik, Redeanalyse, Semantik, Lexikologie, subjilecte, Metapher, Psychoanalyse, Lacan, Psychologie, soziale Psychologie, Psychose, Paranoia, Schizophrenie, Rhetorik, Argumentation, Epistemologie, Poesie, Literatur, Baudelaire, Übersetzung, Mißverständnis, starre Ausdrücke, Jean- Claude Milner, L’Œuvre claire, Albert Camus, Marie Cardinal, Amélie Nothomb, Georges Brassens, Henry Miller, Parménide, Cyrano de Bergerac, Aragon, Nietzsche, Luce Irigaray, Hélène Cixous, Deleuze, Guattari, Lyotard, Hysterie, Zwangsvorstellung, Phobie, Angst, Unbewusstes, Traum, Rebus, Subjiciel
Palavras-chaves : analyscience, linguística, análise de discursos, semântica, lexicologia, subjilecte, metáfora, psicanálise, Lacan, psicologia, psicologia social, psicose, paranóia, esquizofrenia, retórica, argumentação, epistemologia, poesia, literatura, Baudelaire, tradução, equívoco, expressões bloqueadas, Jean- Claude Milner, L’Œuvre claire, Albert Camus, Marie Cardinal, Amélie Nothomb, Georges Brassens, Henry Miller, Parménide, Cyrano de Bergerac, Aragon, Nietzsche, Luce Irigaray, Hélène Cixous, Deleuze, Guattari, Lyotard, histeria, idéia fixada, fobia, inquietude, inconsciente, sonho, rébus, subjiciel
Palabras-clave : analyscience, lingüistica, análisis de discurso, semántica, lexicologia, subjilecte, metáfora, psicoanálisis, Lacan, psicología, psicología social, psicosis, paranoïa, esquizofrenia, retórica, argumentación, epistemología, poesía, literatura, Baudelaire, traducción, malentendido, expresiones cuajadas, Jean-Claude Milner, L’Œuvre claire, Albert Camus, Marie Cardinal, Amélie Nothomb, Georges Brassens, Henry Miller, Parménide, Cyrano de Bergerac, Aragon, Nietzsche, Luce Irigaray, Hélène Cixous, Deleuze, Guattari, Lyotard, histerismo, obsesión, fobia, angustia, inconsciente, sueño, jeroglífico, subjiciel
Parola-chiave : analyscience, linguistica, analisi di discorso, semantica, lexicologia, subjilecte, metafora, psicanalisi, Lacan, psicologia, psicologia sociale, psicosi, paranoia, schizofrenia, retorica, argomentazione, epistemologia, poesia, letteratura, Baudelaire, traduzione, malinteso, espressioni idiomatiche, Jean-Claude Milner, L’Œuvre claire, Albert Camus, Marie Cardinal, Amélie Nothomb, Georges Brassens, Henry Miller, Parménide, Cyrano de Bergerac, Aragon, Nietzsche, Luce Irigaray, Hélène Cixous, Deleuze, Guattari, Lyotard, isterismo, ossessione, fobia, angoscia, inconscio, sogno, rebus, subjiciel